2008年5月29日 星期四

童年敘事專題-選文分析(五)

童年敘事專題-選文分析(五)



5. 沙特,《詞語》:寫作遊戲

(Jean-Paul Sartre, Les Mots. Paris : Gallimard, 1964, p.115-120)



  Quand ma mère me demandait, sans détourner les yeux de sa partition : « Poulou, qu’est-ce que tu fais ? » il m’arrivait parfois de rompre mon vœu de silence et de lui répondre : « Je fais du cinéma. » En effet, j’essayais d’arracher les images de ma tête et de les réaliser hors de moi, entre de vrais meubles et de vrais murs, éclatantes et visibles autant que celles qui ruisselaient sur les écrans. Vainement ; je ne pouvais plus ignorer ma double imposture : je feignais d’être un acteur feignant d’être un héros.

  A peine eus-je commencé d’écrire, je posai ma plume pour jubiler. L’imposture était la même mais j’ai dit que je tenais les mots pour la quintessence des choses. Rien ne me troublait plus que de voir mes pattes de mouche échanger peu à peu leur luisance de feux follets contre la terne consistance de la matière : c’était la réalisation de l’imaginaire. Pris au piège de la nomination, un lion, un capitaine du Second Empire, un Bédouin s’introduisaient dans la salle à manger ; ils y demeureraient à jamais captifs, incorporés par les signes ; je crus avoir ancré mes rêves dans le monde par les grattements d’un bec d’acier. Je me fis donner un cahier, une boutille d’encre violette, j’inscrivis sur la couverture : « Cahier de romans. » Le premier que je menai à bout, je l’intitulai : « Pour un papillon. » Un savant, sa fille, un jeune explorateur athlétique remontaient le cours de l’Amazone en quête d’un papillon précieux. L’argument, les personnages, le détail des aventures, le titre même, j’avais tout emprunté à un récit en images paru le trimestre précédent. Ce plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes : tout était forcément vrai puisque je n’inventais rien. Je n’ambitionnais pas d’être publié mais je m’étais arrangé pour qu’on m’eût imprimé d’avance et je ne traçais pas une ligne que mon modèle ne cautionnât. Me tenais-je un copiste ? Non. Mais pour un auteur original : je retouchais, je rajeunissais ; par exemple, j’avais pris soin de changer les noms des personnages. Ces légères altérations m’autorisaient à confondre la mémoire et l’imagination. Neuves et tout écrites, des phrases se reformaient dans ma tête avec l’implacable sûreté qu’on prête à l’inspiration. Je les transcrivais, elles prenaient sous mes yeux la densité des choses. Si l’auteur inspiré, comme on croit communément, est autre que soi au plus profond de soi-même, j’ai connu l’inspiration entre sept et huit ans.

  Je ne fus jamais tout à fait dupe de cette « écriture automatique ». Mais le jeu me plaisait aussi pour lui-même : fils unique, je pouvais y jouer seul. Par moments, j’arrêtais ma main, je feignais d’hésiter pour me sentir, front sourcilleux, regard halluciné, un écrivain. J’adorais le plagiat, d’ailleurs, par snobisme et je le poussais délibérément à l’extrême comme on va voir.

  Boussenard et Jules Verne ne perdent pas une occasion d’instruire : aux instants les plus critiques, ils coupent le fil du récit pour se lancer dans la description d’une plante vénéneuse, d’un habitat indigène. Lecteur, je sautais ces passages didactiques ; auteur, j’en bourrai mes romans ; je prétendis enseigner à mes contemporains tout ce que j’ignorais : les mœurs des Fuégiens, la flore africaine, le climat du désert. Séparés par un coup du sort puis embarqués sans le savoir sur le même navire et victimes du même naufrage, le collectionneur de papillons et sa fille s’accrochaient à la même bouée, levaient la tête, chacun jetait cri : « Daisy !», « Papa ! ». Hélas un squale rôdait en quête de chair fraîche, il s’approchait, son ventre brillait entre les vagues. Les malheureux échapperaient-ils à la mort ? J’allais chercher le tome « Pr-Z » du Grand Larousse, je le portais péniblement jusqu’à mon pupitre, l’ouvrais à la bonne page et copiais mot pour mot en passant à la ligne : « Les requins sont communs dans l’Atlantique tropical. Ces grands poissons de mer très voraces atteignent juaqu’à treize mètres de long et pèsent jusqu’à huit tonnes ... » Je prenais tout mon temps pour transcrire l’article : je me sentais délicieusement ennuyeux, aussi distingué que Boussenard et, n’ayant pas encore trouvé le moyen de sauver mes héros, je mijotais dans des transes exquises.

  Tout destinait cette activité nouvelle à n’être qu’une singerie de plus. Ma mère me prodiguait les encouragements, elle introduisait les visiteurs dans la salle à manger pour qu’ils surprissent le jeune créateur à son pupitre d’écolier ; je feignais d’être trop absorbé pour sentir la présence de mes admirateurs ; ils se retiraient sur la pointe des pieds en murmurant que j’étais trop mignon, que c’était trop charmant. Mon oncle Emile me fit cadeau d’une petite machine à écrire dont je ne me servis pas, Mme Picard m’acheta une mappemonde pour que je pusse fixer sans risque d’erreur l’itinéraire de mes globe-trotters. Anne-Marie recopia mon second roman Le Marchand de bananes sur du papier glacé, on le fit circuler. Mamie elle-même m’encourageait : « Au moins, disait-elle, il est sage, il ne fait pas de bruit. » Par bonheur la consécration fut différée par le mécontentement de mon grand-père.

  Karl n’avait jamais admis ce qu’il appelait mes « mauvaises lecteures ». Quand ma mère lui annonça que j’avais commencé d’écrire, il fut d’abord enchanté, espérant, je suppose, une chronique de notre famille avec des observations piquantes et d’adorables naïvetés. Il prit mon cahier, le feuilleta, fit la moue et quitta la salle à manger, outré de retrouver sous ma plume les « bêtises » de mes journaux favoris. Par la suit, il se désintéressa de mon œuvre. Mortifiée, ma mère essaya plusieurs fois de lui faire lire par surprise Le Marchand de bananes. Elle attendait qu’il eût mis ses chaussons et qu’il se fût assis dans son fauteuil ; pendant qu’il se reposait en silence, l’œil fixe et dur, les mains sur les genoux, elle s’emparait de mon manuscrit, le feuilletait distraitement puis, soudain captivée, se mettait à rire toute seule. Pour finir, dans un irrésistible emportement, elle le tendait à mon grand-père : « Lis donc, papa ! C’est trop drôle. » Mais il écartait le cahier de la main ou bien, s’il y donnait un coup d’ œil, c’était pour relever avec humeur mes fautes d’orthographe. A la longue ma mère fut intimidée : n’osant plus me féliciter et craignant de me faire de la peine, elle cessa de lire mes écrits pour n’avoir plus à m’en parler.

  A peine tolérées, passées sous silence, mes activités littéraires tombèrent dans une semi-clandestinité ; je les poursuivais, néanmoins, avec assiduité : aux heures de récréation, le jeudi et le dimanche, aux vacances et, quand j’avais la chance d’être malade, dans mon lit ; je me rappelle des convalescences heureuses, un cahier noir à tranche rouge que je prenais et quittais comme une tapisserie. Je fis moins de cinéma : mes romans me tenaient lieu de tout. Bref, j’écrivis pour mon plaisir.



這段文字是沙特幼時初學寫作的啟蒙經驗。有趣的是,和上段阿哈貢的描述相彷,這段經驗從一開頭也是以遊戲的形式呈現的。小沙特是在玩一場假扮「作家」的遊戲,玩得相當投入。雖然在這個段落的文字裡並未明講,但是我們從《詞語》一書的其他段落參照後,可以知道小沙特其實是以他祖父為「榜樣」,模仿他在對待書本文字時那種彷彿祭師執行一項宗教儀式般的嚴肅態度,換言之,遊戲一如儀式,也很講求一舉一動的形式。所以,他也跟著一板一眼地搬書、翻書、懸著筆桿作沉思狀 ...再振筆疾書。他在遊戲中將自己的寫作行為給神聖化了;看他那小小個子辛苦地捧拿厚重的大百科全書,也算是為寫作儀式付出體力:對這神聖的辛勞還甘之如飴!



他從寫作當中還發現了兩件他可以玩弄的現象:一是天下文章一大抄;一是文字與現實之間相倚相悖的複雜關係。不過,與阿哈貢相比,他雖然也沉醉在寫字遊戲的想像世界中,可是他自以為的想像靈感其實只是在「抄襲」他從故事書中看來的各種情節大拼貼;而在此階段,小沙特還真以為「作家」的工作就是這麼一回事!(而就老沙特一方來看,也許他要指責的就是:「作家」的工作只是這麼一回事!)




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